L'autorisation administrative relative à un représentant du personnel s'impose à ce dernier ... et à son Juge !

Publié le par Union Locale CFE CGC de RENNES (35)

Par trois arrêts publiés en date du 3 mars 2010, la Chambre sociale de  la Cour de cassation vient à nouveau préciser les relations entre  Administration et Justice prud'homale, rappelant par ailleurs que la  réglementation  sociale n'est pas schizophrène, et que les protections salariales ne peuvent s'opposer l'une et l'autre. La problématique ici abordée concerne la gestion du contrat de travail des salariés investis de mandats représentatif au sein de l'entreprise, laquelle relève d'un régime juridique dérogatoire : en effet toute modification du contrat à l'initiative de l'employeur (voire des simples conditions de travail...) et a fortiori sa rupture, dans ce contexte, doit être expressément autorisée au préalable par l'Inspecteur du travail en charge du contrôle de l'entreprise.

Ainsi l'Administration apprécie en légalité et en opportunité le projet de l'employeur, et toute modification est juridiquement nulle si la décision administrative n'est pas sollicitée ni bien sûr respectée. L'Inspecteur du travail doit d'une part examiner la régularité de la procédure suivie (procédure de licenciement, notamment, procédure de consultation des représentants du personnel, ou encore procédure de demande d'autorisation adminsitrative...), et se pencher sur la légitimité de la décision qu'envisage l'employeur : existe-t-il un réel intérêt à la réorganisation de l'entreprise, entraînant la modification du poste ou des conditions de travail du salarié protégé ?

Existe-t-il un motif réel et sérieux de licenciement, une véritable faute disciplinaire grave que la Direction peut sanctionner, ou par exemple une restructuration imposant la mutation de l'intéressé ?  

Enfin, et ce même si de telles raisons objectives, matériellement vérifiables et suffisamment graves pour jusitifier la décision de l'employeur, sont régulièrment rapportées, l'Inspecteur du travail peut toujours refuser son autorisation (laquelle est en pratique considérée comme exceptionnelle !) pour un moyen fondé sur la notion d'ordre public : le projet de l'employeur repose en réalité, même partiellement, sur une atteinte au mandat dont l'intéressé est investi ; ce mandat disparaît sans compensation (par exemple, le salarié concerné ayant commis une faute disciplinaire grave, est par ailleurs le seule représentant du collège "cadres" au Comité d'entreprise...), etc.

On mesure la portée d'une telle protection des salariés représentants élus ou syndicaux, ainsi d'ailleurs des mandats dits "extérieurs" (conseillers prud'hommes, administrateurs sociaux, défenseurs syndicaux...), voire des simples candidats aux élections professionnelles. En principe toute décision de l'employeur est interdite, sauf exceptionnellement en cas d'autorisation expresse de l'Inspecteur du travail !

Or cette protection spécifique ne peut être détournée par le Juge judiciaire, et ce y compris lorsque la décision administrative n'est pas favorable au salarié. En effet tous les recours administratifs sont ouverts à son encontre (recours grâcieux et hiérarchique, et recours contentieux), mais la décision définitive de l'Inspecteur du travail s'impose à tous, y compris au Conseil de Prud'hommes.

C'est la raison pour laquelle lorsqu'une décision de licencier un salarié protégé pour motif économique a été autorisée par l'Inspecteur du travail, aucune action prud'homale ne peut être accueillie en contestation de la procédure de licenciement subie par l'intéressé (et ce même si les salariés non-protégés font condamner l'employeur sur ce fondement !), ou en contestation de la légitimité du motif voire encore de la réalité de la recherche de reclassement à la charge de l'employeur (Cass. Soc. 3 mars 2010, pourvoi n° 08-42526). Même décision lorsque le transfert du salarié à l'entreprise ayant repris une activité économique, a ainsi été autorisée par l'Administration, et ce même si les conditions d'application de l'article L. 1224-1 du Code du travail (l'ex-article L. 122-12 al.1) ne sont objectivement pas réunies (Cass. Soc. 3 mars 2010, pourvoi n° 08-40.895).

Bien entendu il faut souligner le fait que la décision de l'Inspecteur du travail ne s'impose ainsi au Juge prud'homal que si elle ne fait l'objet d'aucun recours, nonobstant les incidences de son exécution provisoire. Par ailleurs il est nécessaire que l'ensemble du processus décisionnel de l'employeur soit soumis à l'appréciation administrative : dans le cas d'un transfert de contrat conventionnel (par exemple le transfert d'un marché de nettoyage ou de gardiennage), l'Inspecteur du travail autorise le principe du transfert, sous réserve de l'accord du salarié concerné conformément aux dispositions expresses de l'accord national en vigueur ; si le représentant du personnel refuse par la suite son transfert, alors le juge judiciaire condamne l'employeur ayant finalement imposé ledit transfert (Cass. Soc. 3 mars 2010, deux esp., pourvois n° 08-41.600 et n° 08-44.120).

Bruno SIAU, maître de conférences à la faculté de droit de Montpellier, avocat (Lexcellis)
http://www.lexcellis-avocats.fr

Publié dans Jurisprudence sociale

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