Réforme de la médecine du travail

Publié le par Union Locale CFE CGC de RENNES (35)

Source :

Un Monde d'Avance  Février 2011 Par Alexie Lorca

Edition : Un monde d'avance

 

REFORME DE LA MEDECINE DU TRAVAIL

 

Chacun sait que la confiance est essentielle dans la relation entre un médecin et son patient. Elle l'est plus encore entre le salarié et le médecin du travail. Le salarié est amené à lui confier des informations sur son état de santé ou les difficultés qu'il rencontre dans son travail, dont il peut légitimement souhaiter qu'elles ne soient pas divulguées à son employeur. Dans le contexte actuel de montée des « risques psychosociaux » (stress, harcèlement institutionnel, etc.), les informations données sont particulièrement sensibles.

Comme tous les médecins, les médecins du travail sont astreints au secret médical et leur indépendance est protégée par la loi. Cependant, leur positionnement a toujours été entaché, dès la loi du 11 octobre 1946 qui a fondé l'organisation de la médecine du travail, d'une certaine ambiguïté. Le positionnement du médecin du travail n'a jamais été vraiment tranché entre deux vocations concurrentes: celle d'un service rendu au salarié dont il faut protéger la santé des effets de l'organisation et des conditions du travail; celle d'un service à l'employeur qu'il faut assurer de l'adaptation de ses salariés à leurs postes de travail. Dans les grandes entreprises, les services de santé au travail dits « autonomes » sont directement placés sous l'autorité de l'employeur. Les services interentreprises, qui suivent tous les autres salariés (soit plus de 90% d’entre eux), sont à gestion majoritairement patronale.

 

L'activité principale de la médecine du travail est la « visite d'aptitude », réalisée au moment de l'embauche puis périodiquement. Sa fonction est là encore ambiguë, car si elle permet de suivre la santé des travailleurs, elle a pour principal débouché la délivrance d'un certificat d'aptitude ou d'inaptitude ; elle joue ainsi un rôle de sélection des travailleurs. Les réformes qui ont pu être menées dans ce domaine depuis les années 1970 sont d'ailleurs demeurées inabouties. Les tentatives de sortir la médecine du travail de la seule activité de déclaration d'aptitude, avec l'introduction d'un « tiers temps » devant être consacré à des interventions « en milieu de travail » portant sur l'organisation collective, n'ont pas donné de résultats convaincants: la déclaration d'aptitude de tous les salariés à un rythme biennal est restée chronophage pour les médecins du travail. Le financement des services de santé interentreprises étant calculé au prorata du nombre de visites réalisées, ceux-ci sont incités à lui conserver l'essentiel de leur activité.

 

La réforme aujourd'hui envisagée par le gouvernement, introduite par voie d'amendements au projet de loi de réforme des retraites discuté à l'automne 2010, annulée par le Conseil Constitutionnel mais reprise dans une proposition de loi des sénateurs centristes en janvier 2011, accroît encore cette ambiguïté originelle de positionnement, au risque de faire perdre à la médecine du travail toute légitimité au yeux des salariés. Le rôle des intervenants autre que les médecins du travail (infirmiers, ergonomes, etc.) est accru : ce n'est pas contestable en soi, mais ces personnels ne présentent pas les mêmes garanties d'indépendance et ne bénéficierait notamment pas de la protection contre le licenciement1. Une nouvelle mission de « conseil aux employeurs sur la diminution des risques » est confiée aux services de santé au travail. Or l'optique de l'employeur sur la diminution des risques n'est pas forcément celle du primat de la protection des salariés : l'employeur est porté à faire des arbitrages entre les risques qu'il supporte en termes de responsabilité et le coût des mesures de prévention. Qui plus est le médecin ne doit pas supporter la responsabilité de l’amélioration de l’organisation. L’employeur doit rester responsable devant la loi de la santé de ses salariés. Enfin, si la proposition de loi prévoit désormais que les services interentreprises seront administrés par un conseil composé à parité de représentants des entreprises et des salariés, les employeurs conserveraient une présidence avec voix prépondérante et donc une majorité effective.

Une autre réforme devrait être engagée, plus ambitieuse et sur des bases tout à fait différentes. Les enjeux en sont importants : la performance de la France en matière de santé au travail n'est pas bonne, avec notamment une explosion des pathologies liées à l'intensification du travail (troubles musculo-squelettiques, risques psychosociaux). D'autres scandales analogues à celui de l'amiante pourraient émerger, faute d'une expertise indépendante et de qualité sur les risques sanitaires auxquels sont exposés les travailleurs. Avec les services de santé au travail, qui comportent 6500 médecins et 10 000 personnels non médicaux, la France dispose d'un outil important mais méconnu et menacé, notamment par la démographie : le nombre de médecins du travail recrutés chaque année est 5 fois inférieur à celui des départs en retraite !

 

Il faut d'abord changer le cœur de métier de la médecine du travail. La visite d'aptitude est un archaïsme qui n'est plus cohérent avec le souci actuel d'accès et de maintien dans l'emploi des salariés handicapés ou âgés. Elle doit être remplacée par une connaissance aussi fine que possible des risques auxquels est exposé chaque travailleur, alimentée par des interventions en milieu de travail plus fréquentes et par des visites individuelles selon une périodicité adaptée à ces risques. Pour les travailleurs exposés à des difficultés, le souci ne doit plus être d'évaluer l'aptitude au poste mais d’identifier et d’analyser les situations de risque et de signaler les postes de travail ou les organisations qui doivent être adaptés par l’employeur, l'inaptitude, qui conduit le plus souvent au licenciement, ne devant être prononcée qu'en l'absence de toute autre solution.

 

Ensuite, il faut sortir de l'ambiguïté du positionnement de la médecine du travail au lieu de l'accentuer comme s'y emploie le projet de réforme en cours de discussion. La création d'un grand service public de la santé au travail permettait de faire « d'une pierre deux coups » : donner une pleine indépendance à la médecine du travail et rassembler des institutions aujourd'hui dispersées2. Comme l'a proposé le rapport du Conseil économique, social et environnemental de 2008, la gouvernance des services de santé au travail pourrait être rattachée à la Sécurité sociale et devenir ainsi véritablement paritaire. La synergie avec les caisses de retraite et de santé au travail (CARSAT), qui ont une mission de prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles, serait ainsi renforcée.

 

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1Le licenciement d'un médecin du travail doit être autorisé par l'inspection du travail.

2ANSES et INRS chargées de l'expertise sur les risques au niveau national ; CNAMTS et CARSAT qui gèrent le risque « accidents du travail et maladies professionnelles » ; ANACT et ARACT chargés d'appuyer les démarches d'entreprise en matière de prévention.

 

Publié dans PROFESSIONS SANTE

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